"Vieux", ce mot interdit qu'on devrait tous assumer

5 questions à Antoine Gérard, sociologue

Faut-il avoir peur du mot "vieux" ? Est-ce un terme qu’on doit bannir de notre langage au profit de mots plus doux, plus marketing ? Ou au contraire, devons-nous le revendiquer, le réhabiliter, pour mieux affronter ce qu’il dit de nous, de notre société, de notre rapport au temps qui passe ?

Portrait d'Antoine Gérard

Pour y voir plus clair, nous avons rencontré Antoine Gérard, sociologue du vieillissement, fondateur de l’association Bistrot Bertha – qui installe des bistrots dans les EHPAD – et créateur du podcast SocioGérontologie. Avec franchise et engagement, il nous partage sa vision du vieillissement, des représentations qu’on s’en fait, et surtout de ce que cela change, concrètement, dans notre manière d’agir avec les plus âgés.

Voici ses réponses à 5 questions que nous lui avons posées

(Pour voir la version illustrée et commentée de cet article, cliquez ici.)

1. Peux-tu te présenter et nous dire ce qui t’a poussé à t’intéresser aux représentations du grand âge ?

Je m’appelle Antoine Gérard, je suis le président-fondateur de l’association Bistrot Bertha, qui crée des bistrots dans les EHPAD. Et avant ça – et depuis presque 15 ans – je suis sociologue des vieux.

J’y suis arrivé un peu par hasard, mais j’y suis resté parce que quelque chose m’a profondément révolté : la manière dont on considère les vieux dans notre société. Non plus comme des adultes libres et autonomes, mais comme des êtres fragiles, forcément dépendants, qu’on doit protéger malgré eux – et ça, sous couvert de bienveillance et d’expertise médicale.

Ça peut sembler subtil, mais ce paternalisme déguisé est pour moi une forme de violence symbolique. Depuis ce moment-là, j’essaie d’agir à ma manière : en transformant les établissements, les mentalités, les pratiques. Ça a pris plusieurs formes : un podcast (SocioGérontologie), une agence d’études et de conseils, puis aujourd’hui Bistrot Bertha, mais le fil rouge est le même : changer le regard sur la vieillesse.

2. Dans ton podcast, tu abordes de front les stéréotypes liés à l’âge. Tu n’hésites pas à dire qu’« être vieux, c’est parfois moche… et toujours difficile ». Pourquoi est-ce si important, selon toi, de présenter sans fard les réalités du vieillissement ?

Quand on parle des vieux, on tombe souvent dans deux extrêmes : l’angélisme ou le catastrophisme. Et bien sûr, aucun des deux ne correspond à la réalité.

Or, accompagner les personnes âgées, ça commence par comprendre ce qu’elles vivent. Pas fantasmer. Comprendre. Et ce qu’il faut comprendre d’abord, c’est que les vieux restent des adultes. Avec leurs qualités, leurs défauts, leurs contradictions, leur histoire. Ce ne sont pas des "petits vieux mignons", ni des "poids morts". Ce sont des personnes. Point.

Donc, parler vrai, c’est lutter contre les préjugés, contre l’âgisme, contre l’infantilisation. Et c’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour faire réfléchir les professionnels.

3. De Jeune-vieux à vieux-vieux : comment les personnes âgées elles-mêmes se perçoivent-elles, selon toi ? Et comment ce regard évolue-t-il ?

La première chose à dire, c’est que les vieux, c’est toujours les autres. Même à 90 ans. L'identité "vieux", on la repousse le plus longtemps possible.

Mais bien sûr on finit toujours par être rattrapé par “l’âge de nos artères” (qui est surtout l’absence ou la présence de douleurs). Tant qu’on n’a pas mal, on se sent jeune. Dès que le corps coince, on se sent vieux. La vieillesse, ce n’est pas une question d’années, c’est une question de sensations. Et là je parle de la question corporelle, c’est le plus facile à comprendre, mais par exemple quand on se sent dépassé par la technologie, le langage, les mœurs, etc., on se sent vieux.

Un "vieux" qui assume

Ce qui change entre 60, 75 et 90 ans, c’est la vitesse de bascule. Plus on avance en âge, plus on est vulnérable aux événements. Un accident, une chute, une hospitalisation, et on peut perdre très vite de l’autonomie sans avoir les ressources pour remonter la pente. Et ressentir cette fragilité, ça aussi ça nous fait prendre conscience qu’on vieillit.

4. Comment pourrait-on redonner au mot “vieux” une connotation positive – ou au moins respectueuse ?

Déjà, en l’utilisant. En arrêtant d’en avoir peur. Et quand ça choque, en expliquant pourquoi ne pas prononcer le mot ne résout rien. Changer le mot ne fait pas disparaître ce qu’il désigne. C’est même souvent une manière d’éviter le problème plutôt que de l’affronter.

Il faut aussi cesser d’utiliser des euphémismes marketing : "seniors", "aînés", "sages"… Tous ces termes lissent la réalité au lieu de l’honorer. Dire "vieux", ce n’est pas un manque de respect, c’est reconnaître qu'une personne, de par son âge, a vécu des choses, a évolué dans un contexte différent, et finalement c’est la première clé pour commencer à s’intéresser à elle.

Le vrai problème, ce n’est pas le mot.

C’est ce qu’il réveille en nous.

Notre peur de vieillir. De devenir dépendants. D’être seuls. Et aussi, de voir nos proches changer, décliner, ne plus être ceux qu’ils étaient pour nous. C’est ça qu’on fuit en refusant de dire "vieux".

5. Si tu devais partager un “secret qui change tout” pour mieux comprendre et assumer le fait de vieillir, quel serait-il ?

Ce qui change tout – et je le répète tout le temps donc pas vraiment un secret – c’est de ne jamais oublier qu’un vieux est un adulte.

Ça paraît évident, mais ça ne l’est pas du tout dans les faits. Un vieux, ce n’est ni un enfant, ni une personne à mettre sous cloche. Il a encore des envies, des droits, des responsabilités, des contradictions. Et à ce titre, il ne doit jamais subir d’infantilisation, ni de la part des professionnels, ni de la part de ses enfants.

Si on garde ça en tête, tout le reste change.

Conclusion

▶️ Voir la version illustrée de cette en vidéo 👆

Ce que nous rappelle Antoine Gérard, avec clarté et conviction, c’est que le mot « vieux » n’est pas une insulte, mais un miroir. Un mot qui, s’il nous dérange, nous pousse à réfléchir à notre propre rapport au vieillissement, à la dépendance, à la transmission.

Chez Merci Prosper, nous pensons que ce regard sincère et humain sur l’âge est nécessaire pour construire une société plus juste et plus lucide. C’est pourquoi nous donnons régulièrement la parole à des experts engagés comme Antoine.

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